Thomas BOISSONNADE
20 mars 2023
La Chine comme acteur diplomatique du Golfe...
Le 10 mars, L’Iran et l’Arabie Saoudite ont annoncé avoir signé à Beijing un accord pour restaurer leurs relations diplomatiques. Les deux pays vont ainis rouvrir des ambassades alors que Téhéran et Riyad avaient rompu leurs liens diplomatiques il y a sept ans, suite à l'exécution en 2016 de Cheikh Nimr Al-Nimr, un clerc chiite proéminent dans le Royaume saoudien. Cet accord, signé par Ali Shamkhani, secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale iranien et Musaad bin Mohammed Al-Aiban, membre du conseil saoudien des affaires politiques et de sécurité, fait suite à des pourparlers qui avaient débuté en Irak et à Oman en 2021 et 2022. L’agence de presse de l’Arabie Saoudite a aussi annoncé l’activation d’un traité de sécurité signé en 2001 entre les deux pays et d’autres accords commerciaux et d'investissements décidés auparavant.
« À la suite de pourparlers, l’Iran et l’Arabie Saoudite sont parvenus à un accord pour reprendre leurs relations diplomatiques et rouvrir des ambassades dans les deux mois. »
IRNA (Agence de presse de la République islamique)
Il faut souligner que ces discussions se sont déroulées sous la supervision de la Chine qui réalise une belle opération diplomatique. Le message de Beijing semble clair, la Chine veut s'affirmer comme une puissance pacifiste et responsable dans le monde et surtout au Moyen-Orient tandis que les Etats-Unis y représentent une force militaire dont l’influence décline. Le rôle exact de Beijing dans cet accord reste flou, mais ils semblent être le seul acteur possible pour aider à ce rapprochement. En effet, la Chine est le premier partenaire commercial de l’Iran. Plus encore, il y a à peine un mois, le président iranien Ebrahim Raïssi se rendait en Chine, une première pour un président iranien depuis plus de vingt ans. Du côté de l'Arabie Saoudite, la Chine est le premier importateur de pétrole saoudien. Un récent accord entre les deux pays va permettre l’ouverture d’une usine de drones en Arabie Saoudite, première usine de production chinoise de ce genre ouverte à l’étranger. Plus encore, à la suite de l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi, la Chine s’était rapprochée d’un Mohammed Ben Salman, Prince héritier du Royaume saoudien, isolé et Persona non grata en Occident. Enfin, les trois pays ont des positions assez proches sur diverses questions comme le nucléaire, la guerre en Ukraine ou les Droits de l’Homme.
« Apparaître comme un facilitateur dans les négociations ajoute au prestige chinois. Le message pas si subtil que la Chine envoie est que si les États-Unis sont la puissance militaire prépondérante dans le Golfe, la Chine est une présence diplomatique puissante et croissante. Cela ajoute à une perception de la puissance et de l'influence chinoises dans le monde, et contribue à un récit d'une présence mondiale américaine en déclin. »
Jon B. Alterman, CSIS, Vice-président Senior, chaire Zbigniew Brzezinski, et directeur programme Moyen-Orient
Ce rapprochement peut marquer une redistribution des cartes au Moyen-Orient. Le président Raïssi avait annoncé dès son arrivée au pouvoir en août 2021 qu’il voulait diminuer les tensions dans la région. La rivalité entre l’Iran et l’Arabie Saoudite a provoqué de nombreux affrontements par "proxy" dans plusieurs pays comme l’Irak, le Liban, la Syrie ou le Yémen. Un tel accord pourrait par exemple aider l’Arabie Saoudite à se retirer du Yémen où elle affronte les rebelles houthistes soutenus par Téhéran. Il faut aussi noter l’absence d’implication américaine dans ce rapprochement. Cela marque une volonté saoudienne de diversifier ses alliances et de moins dépendre des Etats-Unis pour assurer leur défense. Pour cela, Riyad a aussi laissé entendre qu’ils voudraient normaliser leurs relations avec Israël. La Chine peut alors développer son influence dans la région face à des Etats-Unis qui pourraient sembler la déstabiliser notamment après leur retrait en 2018 de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien.
Cependant, il faut nuancer la portée de ce traité. L’Arabie Saoudite et l’Iran restent deux puissances régionales rivales et leurs contentieux sont nombreux, leurs relations se réchauffent, mais ils restent adversaires. À Washington, la signature de cet accord est saluée pour ses potentiels bénéfices sur la stabilité de la région, mais il est accueilli avec scepticisme, on attend de voir si l’Iran tiendra ses promesses. Faut-il y voir une avancée chinoise dans la constitution avec la Russie d’une alternative illibérale au Moyen-Orient face à l’Occident ? Certains éléments comme la signature d’un accord commercial entre Pékin et les talibans en janvier peuvent le laisser penser. Néanmoins, ces rapprochements restent ténus avec les pays musulmans, entre autres à cause des violences commises par la Chine sur la minorité Ouïghour. Il faut aussi noter qu’en Iran la situation interne reste tendue et qu’une levée des sanctions économiques (qui implique par extension un rapprochement avec les puissances occidentales) pourrait fortement aider à stabiliser le pays. Toutefois, cette normalisation des relations entre deux rivaux historiques, Riyad et Téhéran, sous l’influence de la Chine, reste une évolution notable et annonce des évolutions dans les mois et les années à venir au Moyen-Orient.
« De meilleures relations [entre les pays du Moyen-Orient] bénéficient à tout le monde [...] Il reste à voir si l’Iran tiendra ses promesses. »
John Kirby, porte-parole du Conseil National de Sécurité américain
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Sources Images : Wang Jing - China Daily/Ukrainian Presidential Press Service/CNSphoto