Valentin CARRET
23 mars 2023
Vers un axe anti-Occident ? ...
La session parlementaire annuelle chinoise qui s’est tenue au cours du mois de mars 2023 a vu la réélection du président chinois sortant Xi Jinping pour un nouveau mandat de cinq ans. Dans la foulée, Li Qiang, proche de Xi Jinping, a lui été élu pour la première fois par le Parlement chinois Premier ministre, prenant de fait la tête également du Conseil d’Etat. La fonction de cet organe est traditionnellement associée à la gestion quotidienne du pays ainsi qu’à la conduite de la politique macroéconomique.
Cette même session parlementaire a également permis à l’appareil gouvernemental chinois de dévoiler ses objectifs de croissance ainsi que son budget alloué à la défense. Concernant la croissance, les chiffres prévoient une augmentation de 5% du PIB national sur l’année 2023, l’économie chinoise connaissant « une reprise solide », afin de paraphraser le Premier ministre chinois sortant Li Keqiang. Le budget de défense va quant à lui connaître une augmentation de près de 7,2% sur l’année 2023, atteignant 1 553,7 milliards de yuans, soit 225 milliards de US Dollars. Ce renforcement des forces militaires chinoises corrélé à la réélection de Xi Jinping va-t-il conduire à l’amorce d’une politique étrangère plus agressive ? Va-t-on connaître un bouleversement stratégique régional et mondial ?
Afin de justifier cette hausse budgétaire, Li Keqiang a assuré devant le Parlement que « les tentatives d’endiguement venues de l’extérieur ne cessent d’augmenter », appelant les forces armées à augmenter l’entraînement, la formation et la préparation au combat des troupes. Quant à lui, Xi Jinping a mentionné le fait que « Des pays occidentaux, menés par les États-Unis, ont mis en œuvre une politique d'endiguement, d'encerclement et de répression contre la Chine, ce qui a entraîné des défis sans précédent pour le développement de notre pays ». C’est la première fois que le leader chinois se montre véhément à l’encontre des États-Unis, déléguant habituellement cette tâche à ses ministres ou à ses diplomates. Alors même que les tensions sino-américaines s'accroissent dans l’Indo-Pacifique, que ce soit autour de Taïwan ou encore en mer de Chine méridionale, cette nouvelle dialectique utilisée par le Président chinois laisse présager une évolution marquée de la géopolitique actuelle, à plusieurs échelles.
À l’échelle nationale, le Parti Communiste Chinois (PCC) souhaite préparer la population à une possible guerre. Une nouvelle loi sur la réserve militaire nationale a été adoptée, garantissant au PCC le pouvoir de réquisitionner tout citoyen ayant entre 18 et 60 ans afin de l’engager dans la réserve nationale. De nouvelles mesures de recrutement sont testées, plus agressives et sanctionnant assez lourdement les réfractaires. Enfin, une prévision de révision entourant une loi de temps de guerre est en cours, conférant un pouvoir quasi illimité aux forces armées chinoise pour remplacer le cadre juridique civil et établir des bureaux de mobilisation de la défense nationale dans les villes chinoises. Ces réformes s’inscrivent dans un contexte international houleux concernant Taïwan. Les députés affiliés à l’armée chinoise font pression auprès du Gouvernement afin que ce dernier établisse une législation de temps de guerre afin de protéger les intérêts nationaux et la souveraineté nationale. À ce sujet, Xi Jinping a rappelé sa volonté d’exécution de sa politique dite « d’une seule Chine » avant 2049, souhaitant toutefois que le rattachement de la République de Chine à la République Populaire de Chine (RPC) se fasse de manière pacifique, n’excluant pour autant pas un possible usage de la force. Néanmoins, ces différentes révisions législatives inquiètent les Occidentaux, certains officiers américains arguant sur une possible offensive chinoise d’ici à 2027, voire même 2024.
De plus, le contexte de la guerre en Ukraine exacerbe les craintes autour des prédations territoriales de certains Etats. Pour l’heure, la Chine mène des opérations d’influence à Taïwan, notamment en prévision des élections de 2024. Elle est également grandement dépendante des semi-conducteurs produits par Taipei, n’assurant qu’un sixième de ses besoins nationaux. L’inquiétude internationale devrait aujourd’hui plus se concentrer sur l’Ukraine. En effet, Xi Jinping a annoncé une rencontre avec Volodymyr Zelensky la semaine suivant un voyage officiel à Moscou durant lequel il rencontrera son homologue Vladimir Poutine. De fait, la Chine renforce son statut affiché d’Etat médiateur dans le conflit, dans la continuité de son « plan de paix » proposé à la société internationale lors de la conférence de Munich en février 2023. Arguant notamment sur l’intégrité des frontières internationales et la souveraineté des Etats, ce plan avait subi les critiques des Etats occidentaux. La Vice-présidente des Etats-Unis Kamala Harris parlait d’un plan très flou, tandis que le Secrétaire général de l’OTAN Jens Stolenberg rappelait que la Chine n’avait toujours pas condamné l’invasion russe de l’Ukraine. Au lieu de cela, Beijing condamne les livraisons d’armes à Kiev, alors même que le secrétaire d’Etat américain Anthony Blinken a ravivé dernièrement les craintes occidentales autour d’une possible assistance militaire chinoise à la Russie dans son effort de guerre. Selon lui, la Chine pourrait fournir des moyens létaux à Moscou, et principalement des armes. Dans le contexte des ballons espions chinois dans le ciel américain, les relations sino-américaines sont plus que tendues.
Aussi, ce plan de paix chinois concrétise-t-il le rejet chinois des visions internationales occidentales ? Va-t-il initier un nouvel ordre international ? Une logique de blocs s’est-elle installée ? Moscou et Pékin vont-ils renforcer leur partenariat stratégique à travers des livraisons d’armes chinoises ? La Chine pourrait-elle être associée aux prochains paquets de sanctions visant la Russie ? De manière plus globale, quelle politique étrangère la Chine va-t-elle adoptée durant le prochain mandat de Xi Jinping ? Autant d’incertitudes géopolitiques qu’il convient d’analyser.
Dans un premier temps, il est important de revenir au 4 février 2022. En marge de l’ouverture des Jeux olympiques d’Hiver de Pékin, Xi Jinping et Vladimir Poutine se sont rencontrés afin d’annoncer un renouvellement et un renforcement du partenariat stratégique liant leurs deux Etats. En est ressorti, une formulation très singulière, une « amitié sans limite russo-chinoise ». C’est dans ce contexte qu’une assistance militaire chinoise pourrait paraître crédible. En effet, depuis 2014, les achats chinois de matériels militaires russes ont considérablement augmenté, Pékin acquérant notamment des systèmes antiaériens S-400 « Triumph » ou encore vingt-quatre chasseurs multirôles SU-35. Avant 2014 et l’annexion de la Crimée, Moscou se refusait à céder à la Chine ses matériels militaires avancés de haute technologie. Or, avec l’arrivée des premières sanctions occidentales et l’isolement progressif de la Russie sur la scène internationale, le besoin de liquidités s’est fait ressentir au sein du système économique russe, contraignant de facto Moscou à céder les matériels susvisés à la RPC. Aussi, Chine et Russie opèrent avec un grand nombre de matériels militaires semblables, leur conférant une certaine interopérabilité. Cette dernière est considérablement améliorée par la tenue d’exercices militaires bilatéraux ou multilatéraux (deux exemples significatifs : Vostok en septembre 2022 en Sibérie orientale et en mer d’Okhotsk, et Joint Sea 2022 en mer de Chine orientale). Aussi, ce partenariat stratégique liant les deux puissances asiatiques se renforce à mesure que le fossé diplomatique semble se creuser entre les États occidentaux d’une part, la Chine et la Russie d’autre part.
Or, il faut toutefois admettre que les relations entre Moscou et Pékin sont aussi empreintes de scepticisme mutuel et de rapports de force. En effet, Xi Jinping prend soin de modérer son soutien à Vladimir Poutine, comme si la Chine attendait de tirer profit d’une évolution du contexte international où la Russie serait considérablement affaiblie, définitivement coupée de l’Occident, et donc toujours plus dépendante de son voisin chinois. Preuve à l’appui, en 2022 comme en 2023, la Chine s’est abstenue durant le vote auprès de l’Assemblée Générale des Nations Unies (AGNU) condamnant l’invasion russe de l’Ukraine. Les relations entre la Chine et la Russie sont en réalité très complexes, faites d’ambivalence et de rapports de force. À l’aune des sanctions occidentales, les entreprises chinoises investissent en Russie uniquement dans des projets rentables, possédant notamment 30% des parts de Novatek, une compagnie spécialisée dans la production et l’exploitation de gaz naturel. De fait, cela permet à la Chine de se greffer à des projets d’extractions gazières dans l’Arctique russe, principalement sur les sites de liquéfaction de Yamal LNG, en péninsule de Yamal, et Arctic LNG 2, en péninsule de Gydan. Depuis la publication d’un Livre Blanc sur l’Arctique en 2018, Pékin s’estime être une nation riveraine du cercle polaire arctique et démontre ses ambitions grandissantes dans le Grand Nord, s’attirant les critiques américaines. Quid de la Russie, qui considère l’Arctique comme son « Bastion stratégique » et son « eldorado riche en hydrocarbures » ? Les intérêts chinois dans la zone visent notamment le développement de la Route Maritime du Nord, objectif majeur énoncé par la Russie dans sa dernière stratégie maritime parue en juillet 2022. Pékin, souhaiterait-il à terme développer une « route de la Soie polaire » ? Une chose est certaine, les velléités chinoises en Arctique dérangent la Russie, qui a toutefois besoin des investissements étrangers, et notamment chinois, afin de développer de manière rentable ses installations et projets dans le Grand Nord. Cette aire géographique témoigne à nouveau de l’ambivalence des relations diplomatiques liant Beijing et Moscou.
Pour autant, la Chine privilégie l'investissement dans ses projets de routes de la Soie terrestre en Asie centrale, au Caucase voire en Turquie, afin d’assurer le transit des produits manufacturés à destination de l’Europe. En marge du sommet de l’Organisation de Coopération de Shangaï (OCS) qui se tenait en Ouzbékistan, Xi Jinping s’était rendu à Nur-Sultan dans le but de renforcer les relations bilatérales liant la Chine et le Kazakhstan. Ce dernier, Etat pivot en Asie central riche en hydrocarbures, est essentiel dans le maintien de la stabilité régionale. Or, à l’aune de la guerre en Ukraine, le Gouvernement kazakh s’inquiète des ingérences russes dans son système politique, surtout depuis les émeutes sanglantes de 2022. La Chine s’affirme alors comme un allié indéfectible du pays afin de sauvegarder son indépendance nationale.
Dans cette lignée, le Président Xi Jinping a souligné sa volonté de promouvoir un développement stable et serein des relations bilatérales entre la Chine et la Biélorussie. Le Président Lukashenko était à Beijing à la fin du mois de février 2023 afin de renforcer le « partenariat sans limite » signé il y a un an entre Pékin et Minsk. En effet, le marché biélorusse pourrait s’avérer rentable pour les entreprises chinoises, certaines ayant fait part de leur volonté de coopérer avec les compagnies locales. Avec cette posture, la Chine isole encore plus la Russie, alors même que la Biélorussie, déjà sanctionnée pour son aide territoriale apportée à l’armée russe au moment de l’invasion de l’Ukraine, souhaite progressivement sortir du giron de Moscou.
Néanmoins, la Chine ne veut pas totalement s’opposer à son puissant voisin. Depuis 2014, et surtout depuis février 2022, les échanges économiques ont largement augmenté. Entre 2000 et 2022, ils sont passés d’environ 10 milliards de US Dollars par an à environ 175 milliards de US Dollars par an. Aujourd’hui, la RPC est le premier pays pourvoyeur de biens de consommation sur le marché russe, notamment en matière de véhicules légers ou de téléphonie mobile. Pour autant, la Russie n’est quant à elle que le quatorzième partenaire commercial de la Chine. Ce déséquilibre des balances témoigne de la dépendance russe au marché chinois, largement plus marquée que l’inverse. Avec les embargos occidentaux sur les hydrocarbures russes, Moscou a dû s’ouvrir à de nouveaux marchés afin d’écouler ses stocks. La Chine et l’Inde ont négocié avec les compagnies russes un rabais de près de 30% sur les prix d’importation du pétrole et du gaz par rapport aux tarifs qui s’appliquaient auparavant aux pays européens. Par exemple, depuis le début de la guerre en Ukraine, les importations chinoises de pétrole brut russe ont augmenté de plus de 50%, celles de gaz de plus de 60%. Aussi, en mars 2023, la Russie s’affiche comme le premier pays exportateur d’hydrocarbures à destination de la Chine, dépassant dès lors l’Arabie Saoudite et les États-Unis. Le 15 septembre 2022, le ministre russe de l’Énergie a notamment annoncé la construction prochaine d’un nouveau gazoduc entre la Russie et la Chine, nommé « Power of Siberia 2 ». Long de plus de 6000km, il partirait des terminaux gaziers de l’Arctique russe afin d’acheminer son contenant au nord-est industriel chinois, transitant à travers la Mongolie. Issu d’une coopération entre le géant russe Gazprom et la China National Petroleum Company (CNPC), il devrait permettre d’ici 2030 de doubler les exportations gazières russes à destination de la Chine. Aujourd’hui, ces échanges gaziers se font via des méthaniers brise-glace russes, qui empruntent la Route du Nord jusqu’au hub de transbordement de Kamtchatka. En 2014, Moscou et Pékin avaient déjà signé un contrat sur 40 ans pour la construction du gazoduc « Power of Siberia », qui devrait rapporter près de 400 milliards de US Dollars sur la période énoncée à la Russie. Le gazoduc Sakhaline permet lui d’acheminer le gaz traité depuis l’île éponyme à la Chine. Concernant le pétrole, les ressources issues des gisements du Caucase, de l’Oural et de Sibérie sont affrétées en Chine via les gazoducs Eastern Siberia-Pacific Ocean (ESPO) et Atasu-Alashank, ce dernier transitant notamment via le Kazakhstan.
Aussi, cette relation bilatérale sino-russe, empreinte d’une grande ambivalence, repose sur des interdépendances globalement complexes et des rapports de force. Pour autant, la réélection de Xi Jinping fait planer un doute sur l’évolution de la géopolitique régionale et mondiale. La compétition stratégique opposant Chine et États-Unis va-t-elle s’accroître ? La RPC va-t-elle soutenir militairement la Russie ? Cette dernière va-t-elle devenir progressivement plus dépendante de son voisin chinois alors qu’elle s’isole continuellement sur la scène internationale ? Pourrait-il y avoir une invasion chinoise de Taïwan d’ici deux à quatre ans ? Autant d’incertitudes géopolitiques qui questionnent les équilibres régionaux.
Concernant la prise de nouvelles sanctions occidentales contre la Russie impliquant la Chine, cette éventualité paraît très peu probable. Le risque de contre-sanctions chinoises est trop élevé, alors même que les Etats-Unis, l’Union Européenne et la Chine demeurent malgré tout des partenaires commerciaux fondamentaux. Actuellement, Beijing est le leader mondial de la production de produits manufacturés et de terres rares, tant nécessaires aux économies occidentales. Inversement, la Chine dépend des liquidités et investissements étrangers, sur son sol comme dans ses projets dans d’autres pays. La même problématique demeure avec les semi-conducteurs, largement importés depuis d’autres Etats. Autant de facteurs qui font que l’évolution du contexte géopolitique en Indo-Pacifique devient floue, voire même imprédictible.