Thomas BOISSONNADE
23 févr. 2023
Signature d'un contrat commercial entre Kaboul et Beijing…
Le 5 janvier dernier, les talibans ont signé un accord commercial avec une entreprise chinoise portant sur l’exploitation des ressources pétrolières dans le nord du pays. Cet accord accorde au consortium public Central Asia Petroleum and Gas Co (CAPEIC) le droit d’exploitation pendant 25 ans du pétrole dans le bassin de l’Amou-Daria, le fleuve qui sert de frontière entre l’Afghanistan et le Turkménistan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan. La région aurait en réserve 87 millions de barils de pétrole brut. En échange, la Chine s’engage à investir 150 millions de dollars la première année, puis 500 millions les suivantes, ce qui va créer 3 000 emplois pour les Afghans dans la région. Avant tout, cela marque un rapprochement entre les talibans et la Chine, l’accord ayant été signé par l’ambassadeur chinois en Afghanistan, Wang Yu.
Pour le régime fondamentaliste de Kaboul, cet accord a une portée bien plus importante. C’est le premier accord international majeur depuis le retour au pouvoir des talibans en août 2021. Selon eux, ce contrat est le premier et d’autres viendront à l’avenir, avec la Chine, mais aussi avec l’Iran et la Russie. Pour les talibans, qui ne sont reconnus par aucun pays au niveau international, c’est une victoire diplomatique.
Pour Beijing, cet accord présente aussi de nombreux intérêts. Depuis le départ des Américains et l’arrivée au pouvoir des talibans, la Chine s’est montrée plus conciliante que le reste de la communauté internationale. Elle veut étendre son influence en Asie centrale à travers ses investissements. Cela peut lui permettre de sécuriser son projet des Nouvelles Routes de la Soie et peut-être même d’y intégrer l’Afghanistan. De plus, il est probable qu’il y ait aussi du gaz dans la région du bassin de l’Amou-Daria. Les réserves en gaz du Turkménistan voisin sont immenses, et il est possible que les réserves ne s’arrêtent pas à la frontière. Si c’est le cas, la Chine sera déjà positionnée pour exploiter ces ressources. La signature de l’accord par une entreprise et non le gouvernement lui-même permet aussi de tester et de voir les réactions internationales, pour éventuellement faire d'autres accords plus ambitieux à l’avenir. Les réserves des sous-sols afghans (or, cuivre, lapis-lazuli, pétrole…) auraient une valeur de 1 000 milliards de dollars et à cause de l’instabilité du pays sont très peu exploitées. Beijing pourrait vouloir relancer le projet de mine à Mes Aynak, au sud-est de Kaboul, et qui comporte d’importantes réserves de cuivre. En 2007, la Chine avait acquis une concession de 30 ans pour un demi-milliard, mais avait dû renoncer au projet à cause de l’insécurité de la zone.
La Chine y voit un intérêt sécuritaire dans ce rapprochement avec Kaboul. Le 28 juillet 2021, avant l’arrivée des talibans au pouvoir, une rencontre avait eu lieu entre Wang Yi, le Ministre des affaires étrangères chinois et Abdul Ghani Baradar, le numéro deux du régime taliban. En échange d’un soutien économique de la Chine, les talibans acceptaient de couper les ponts avec le mouvement islamique du Turkestan, une organisation séparatiste Ouïghour qui aurait revendiqué plusieurs attentats en Chine. Pour Beijing, ce rapprochement est un moyen de sécuriser sa frontière est et d’essayer de s’acheter la paix et une plus grande liberté d’action dans le Xinjiang.
« Les talibans veulent de bonnes relations avec la Chine, que nous participions à la reconstruction et au développement de l'Afghanistan. La Chine a toujours respecté l'indépendance de l'Afghanistan, alors nous ne sommes jamais intervenus. »
Hua Chunying, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, 2021
Cependant, ce rapprochement ne semble pas naturel, entre un régime islamiste fondamentaliste et un Etat dirigé par un Parti communiste qui enferme un million d'Ouïghours, des musulmans, dans des camps d’internement et commet de nombreuses violences sur cette minorité. Ces accords peuvent être perçues comme une volonté de s’opposer au bloc occidental. La Chine reste frileuse à investir dans ce pays toujours instable, et la signature de ce partenariat commercial a mis du temps à se mettre en place. Enfin, il faut rappeler que malgré ce début de rapprochement, Beijing ne reconnaît toujours pas le régime taliban sur la scène internationale.
Sources Images : U.S. Department of State/Chairman of the Joint Chiefs of Staff