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La Chine renforce ses incursions dans les eaux des pays la mer de Chine méridionale

Hugo VOJETTA

4 mai 2023

Le cas de l'Indonésie...

En début d’année, la coopération entre les garde-côtes chinois (CCG), l’Agence de surveillance maritime du ministère des Transports (KPLP) et l'Agence indonésienne de sécurité maritime (BAKAMLA) s'est intensifiée. Cette dernière est une agence de patrouille maritime et de sauvetage relevant du président de la République d’Indonésie qui tient un rôle prépondérant et supérieure au KPLP depuis plusieurs mois dans la sécurité des espaces maritimes de l’archipel. En effet, au début du mois de décembre 2022, les chefs de la CCG et du BAKAMLA se rencontraient pour la première fois lors de la réunion « Vietnam Coast Guard and friends » à Hanoï. Les deux parties ont réitéré leurs engagements à accroître la coopération bilatérale dans le cadre de la mise en œuvre d'un protocole d'accord entre l'Indonésie et la Chine pour renforcer la collaboration maritime qui avait été mise en suspend avec la pandémie. En ce sens, l’ambassadeur de Chine à Jakarta, Lu Kang, était reçu par le vice-amiral Aan Kurnia, chef du BAKAMLA le 21 février 2023, au siège de l’Agence.

 

Ces échanges entre les deux services suscitent de nombreuses intégrations alors qu’un différend est en cours entre la Chine et l’Indonésie sur les activités maritimes de Pékin à la frontière de la mer de Natuna du nord, la partie la plus au sud de la mer de Chine méridionale. Ces dernières années, les autorités maritimes indonésiennes se sont heurtées à la CCG au sujet des revendications territoriales de la Chine qui chevauchent la zone économique exclusive (ZEE) de l'Indonésie, notamment au large du récif pétrolier « Tuna Block ». En conséquence, alors que l’année 2023 débutait, l'Indonésie a envoyé plusieurs navires de guerre dans la région pour surveiller les activités du Hanjing 5901, patrouilleur de classe Zhaotou de la CCG et plus grand navire des garde-côtes au monde. La querelle a continué de s’intensifier alors que l'Indonésie décidait d'étendre son exploration énergétique offshore en rejetant la ligne à neuf traits de Pékin. Jakarta a haussé le ton alors que l’archipel ne fait pas partie des six parties officiellement engagées dans le différend maritime de la mer de Chine méridionale, qui comprennent Brunei, la Chine, la Malaisie, les Philippines, le Vietnam et Taïwan.


L’Indonésie montre des signes d’inquiétude alors que l’augmentation des tensions dans le nord de la mer de Natuna pourrait rendre la coopération avec la CCG plus difficile, voire l'arrêter brutalement. Quatre navires, un avion de patrouille maritime et des drones de surveillance ont été déployés afin de protéger la ZEE indonésienne le 16 janvier.

 

Toutefois, le chef d’état-major de la marine (KSAL), l’amiral Muhammad Ali, déclarait le 25 janvier que les tensions observées dans la région des Natuna n’étaient pas aussi grave que ce que rapportaient les médias. Cette déclaration semble être une tentative de récupération des faits pour calmer les tensions avec la Chine et interroge, alors que les deux pays se sont récemment félicités pour la qualité des liens économiques qu’ils entretiennent. Rappelons que le président chinois Xi Jinping lançait, il y a maintenant dix ans, son projet ambitieux de la Belt and Road Initiative (BRI) ou plus communément appelée « nouvelles routes de la soie ». Ce programme multiforme a permis à la Chine de renforcer durablement son alliance économique et stratégique avec l’Indonésie alors que l’équilibre au sein de l’une des arènes de puissances de l’Indo-Pacifique est de plus en plus difficile à cerner. Par conséquent, le rapprochement observé entre la GCC et le BAKAMLA, initié par Pékin, peut être observé comme un axe de coopération fort alors que le président indonésien, Joko « Jokowi » Widodo, déclarait à la fin du mois de février qu’il souhaitait accorder un intérêt tout particulier à la négociation en cours et de longue date du code de conduite (CoC) de la mer de Chine méridionale. En pourparlers entre la Chine et les pays membres de l’ASEAN (Association of Southeast Asian Nations) depuis 2002, l’Indonésie souhaite utiliser sa présidence de l’ASEAN en 2023 et les bonnes relations entretenues avec la Chine pour apporter un nouvel élan productif aux négociations. Selon plusieurs diplomates indonésiens, cette démarche pourrait amener une collaboration renforcée et calmerait les tentions en mer de Chine méridionale alors que le ministre des Affaires étrangères chinois, Qin Gang, déclarait lors de sa visite à Jakarta à la fin du mois de février que « les pays de l’ASEAN ne devraient pas devenir mandataires d’aucune puissance et qu’elle [l’Indonésie] devrait accélérer la négociation du COC lors de sa présidence de l’ASEAN ».

 

Face à cette dualité dans les prises de paroles du gouvernement indonésien, il est bon de rappeler que le pays a souvent invoqué sa position historique de neutralité au sujet des dossiers relatifs aux tensions en mer de Chine méridionale. Difficile, il est vrai, de croire que la place stratégique que joue l’Indonésie sur les routes du commerce mondial ne puisse en faire un énième élément multiplicateur agissant sur la rivalité sino-américaine. Par conséquent, Jakarta essaye d’équilibrer sa coopération avec les deux grands géants et ainsi bénéficier de liens privilégiés avec chacun, notamment dans les domaines de la sécurité et de la défense. En ce sens, l’actuel ministre indonésien de la Défense et candidat – une troisième fois – à l’élection présidentielle de 2024, Prabowo Subianto, rencontrait le 18 novembre 2022 son homologue chinois, le général Wei Feng He à l’occasion d’une visite de travail dans la ville de Xi’an. A l’issue de cette rencontre, les deux hommes annonçaient la reprise des exercices et entraînements militaires conjoints qui avaient été temporairement interrompus depuis la pandémie de Covid-19. La coopération entre le BAKAMLA et la CCG semble s’inscrire dans un souhait indonésien de pratiquer la doctrine de non-alignement, chère au pays depuis 1961, en fonction d’un « intérêt national ». Cette approche relativement vague de la question de positionnement stratégique du pays se heurte à un problème plus profond lié au fait de voir ce rapprochement comme une action menée par simple « intérêt ». Le gouvernement actuel n’a pas les mêmes orientations, les mêmes missions et n’a pas la même diplomatie qu’au début des années 1960.


Ceci place, de manière fortuite il est vrai, l’Indonésie sur une case singulière de l’échiquier stratégique inhérent aux fondamentaux intellectuels qui se dégagent de l’approche « Indo-Pacifique » de la région, si bien que la coopération étroite en matière de sécurité maritime qui continue de se développer entre Jakarta et Washington ne peux échapper à une confrontation derrière les conduites indonésiennes d’une politique étrangère non-alignée. C’est ainsi que les différentes alliances stratégiques à l’initiative des États-Unis se rapprochent de l’Indonésie dans le cadre d’une coopération maritime, à l’image du « Quad ». Prenons, par exemple, la venue d’un sous-marin indien, le INS Sindhukesari qui accostait à Jakarta le 23 février, tandis que deux navires de guerre de la marine japonaise effectuaient une escale à Bitung, dans le nord de Sulawesi entre le 27 et le 28 février. Cela s’est également vérifié au cours de ce même mois alors que le BAKAMLA menait une formation conjointe directement avec la Garde côtière des États-Unis (USCG) dans le cadre d’un accord en matière de sécurité maritime signé entre les deux pays en 2018.


Au regard de la position indonésienne entre la Chine et les États-Unis, les engagements envisagés par la CCG et le BAKAMLA sur un renforcement de la coopération maritime soulèvent des questions sensibles. Que deviendra la recherche scientifique marine, la protection de l'environnement marin, la pêche et la formation du personnel indonésien si l’une des deux puissances d’influence dans la région définie par le concept « Indo-Pacifique » ne supporte pas l’effet de l’autre sur les agences indonésiennes ? Ces questions restent en suspens pour l’instant. A l’heure actuelle, il est éventuellement possible pour l’Indonésie de travailler avec les deux pays à un niveau fondamental, tout en établissant la confiance nécessaire pour traiter des questions plus délicates et complexes pour lesquelles la coopération serait difficile.

 

Il est certain que la collaboration des garde-côtes ne résoudra pas les tensions de longue date entre l'Indonésie et la Chine en mer de Natuna du nord. Dans le même temps, nous avons assisté à l’émergence d’un discours plus nuancé de la part de l’Indonésie sur sa relation avec la Chine depuis quelques années alors que Pékin doit faire face à une concurrence plus rude que jamais en Asie du Sud-Est, ce qui met à mal la BRI. Ce différend territorial souligne le manque de confiance de la partie indonésienne envers Pékin alors que les deux pays multiplient les rencontres de hauts rangs et les formats de dialogue et de coopération. Jakarta semble vouloir maintenir la paix et la sécurité en mer de Chine méridionale et ainsi éviter toute escalade possible avec Pékin, et ainsi positionner les forces armées indonésiennes dans une impasse logistique forte en cas de conflit.


Source Image : U.S. Coast Guard/Bakamla

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