Marin LANCRENON
27 févr. 2023
Des Black-Hawks pour l'Australie et des obus pour l'Ukraine…
Renvoyant aux menaces d’un expansionnisme chinois et à la montée en puissance continue de Beijing dans le Pacifique, l'Australie a fait le choix d'entreprendre depuis plusieurs années une restructuration et un renforcement de ses forces. Au cœur de cette volonté, la révélation publique, le 15 septembre 2021 de l’alliance militaire « AUKUS » (acronyme de Australia, United Kingdom et United States), illustrait une forme de rupture dans la politique de défense de Canberra. À cet effet, la décision des gouvernements australiens successifs d'acquérir huit sous-marins d'attaque à propulsion nucléaire (SNA) à uranium hautement enrichi (UHE), avec l'aide des États-Unis et du Royaume-Uni, rompait alors avec l’accord tacite de non-prolifération d’armes nucléaires auquel l'Australie et le parti politique de l'actuel Premier ministre australien, Anthony Albanese, sont attachés. De fait, les sous-marins américains et anglais utilisent du combustible d'uranium enrichi à 93 %. L'Australie serait donc, en cas de réception de ce matériel, le premier pays non doté d'armes nucléaires à acquérir des sous-marins nucléaires.
« Nous avons besoin d'une force de défense hautement capable qui soit prise au sérieux par le reste du monde et qui nous permette de mener toutes les activités pacifiques normales qui sont si importantes pour notre économie,... »
Vice-Premier ministre et ministre de la Défense australien, Richard Marles
Selon l'Australian Strategic Policy Institute (ASPI), au-delà des sous-marins nucléaires d’attaque (SNA), possiblement de classe Virginia, affilié à l’AUKUS, la priorité immédiate pour l'Australie devrait être la frappe à longue portée et le déploiement de technologies critiques pour contrer les capacités en développement rapide de Pékin. Le second rapport sur AUKUS d’ASPI rajoute que pour y parvenir, il peut être nécessaire de faire des choix difficiles...
« Les partenaires d'AUKUS travaillent ensemble pour poursuivre des initiatives à court et à long terme qui aligneront nos priorités respectives et amplifieront notre force collective, pour soutenir une région Indo-Pacifique sûre et sécurisée... »
Vice-Premier ministre et ministre de la Défense australien, Richard Marles
Pour un œil spectateur français, l'expression de ces choix difficiles réside tout d'abord dans l’affaire AUKUS et dans la crise des sous-marins de l’automne 2021. Pour rappel, en 2016, l’Australie signait avec la France et Naval Group (ex-DCNS) « le contrat du siècle » d’un montant record de 56 milliards d’euros portant sur la livraison de 12 sous-marins de classe Barracuda. Difficile, il est vrai, de croire que le 16 septembre 2021, l’Australie annonçait sa rupture auprès de Paris, au bénéfice, tous azimuts, d’un rapprochement avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Rappelons que la France considérait alors ce partenariat avec l’Australie comme la pierre angulaire de sa politique Indo-Pacifique.
En ce sens, de récentes décisions australiennes peuvent être perçues au travers d'un continuum de rupture vis-à-vis de Paris. Le 18 janvier, Canberra confirmait son intention d’acheter 40 hélicoptères militaires Black Hawk UH-60M aux Etats-Unis pour 2,8 milliards de dollars australiens et ainsi remplacer la flotte d’hélicoptères MRH-90 Taipan actuellement en service dans l’armée australienne. Cette décision appuie la difficulté qu’est la mise en œuvre de l'hélicoptère européen. En effet, différents pays utilisateurs avaient d'ores et déjà pointé du doigt la complexité de l'appareil, ainsi que son coût opérationnel. La décision australienne n'est donc pas anodine, mais marque cependant à nouveau un rapprochement vers les États-Unis au détriment des acteurs européens. Pour rappel, le NH-90 est issu d'une collaboration entre le franco-allemand Airbus Helicopter, l'italo-britannique Leonardo Helicopters et le néerlandais Fokker technolgies.
« Nous n'avons tout simplement pas les heures de vol du Taipan dont nous aurions besoin... Nous sommes convaincus que nous pouvons obtenir cela des Black Hawks. C'est une plate-forme que nous connaissons... »
Vice-Premier ministre et ministre de la Défense australien, Richard Marles
Malgré tout, l’actuel vice Premier ministre et ministre de la Défense de l’Australie, Richard Marles a tenu à rappeler qu’il avait parlé de nombreuses fois au ministre français Sébastien Lecornu, son homologue, et qu’il était persuadé que cet accord sur les hélicoptères américains n’affecterait pas le partenariat clef lié entre les deux pays. Pour autant, le choix australien de se doter d'appareils américains s'inscrit dans la suite d'une décision précédente concernant un autre hélicoptère. En 2021, la ministre de la Défense australienne, Linda Reynolds, avait annoncé la décision du gouvernement de Scott Morisson de se doter de l'hélicoptère AH-64Es Apache produit par l’américain Boeing. Ces hélicoptères, prévus pour une entrée au service actif en 2025 dans les forces australiennes, doivent remplacer les Eurocopter EC66 Tigre en dotation dans les forces armées australiennes depuis 2004. À nouveau, l'Australie fait le choix d'un rapprochement, en termes capacitaire, avec les États-Unis, au détriment des industriels européens.
« L'Apache Guardian est l'option la plus meurtrière, la plus résistante et la moins risquée, répondant à toutes les exigences de capacité,... »
Ministre de la Défense australienne, Linda Reynolds (2019-2021)
Si l’AUKUS marque une étape importante dans la posture de sécurité nationale de l'Australie, ce partenariat n'en est encore qu'à ses débuts. Il est difficile d'appréhender la façon dont cet accord façonnera la manière dont l'Australie relèvera, à l’avenir, les défis inhérents à l'environnement géostratégique Indo-Pacifique. Ainsi sont apparu, il y a maintenant deux ans avec l’AUKUS, de nouvelles opportunités et de nouveaux avantages qui vont bien au-delà de l'acquisition exceptionnelle de sous-marins à propulsion nucléaire. Plus encore, la décision australienne de se doter d'appareils américains doit être analysé dans une réflexion plus large prenant en compte le Livre blanc sur la défense de 2016 et la politique de défense amorcée par le gouvernement d'Anthony Albanese et de l’actuel ministre de la Défense, Richard Marles.
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Au-delà des sous-marins, l’AUKUS nourrit la recherche et oriente la course aux armements vers les domaines de l'hypersonique, de la technologie quantique et de l'intelligence artificielle. Le choix des partenariats stratégiques australiens doit tenir compte de ces opportunités et du contexte Indo-Pacifique. À cet égard, il est logique d'observer l'Australie poursuivre son engagement avec les pays partenaires d'AUKUS.
Toutefois, d'un point de vue français, les choix politiques et achats de matériels militaires fait par l’Australie constituent une illustration certaine de la difficulté que rencontre la France à faire reconnaître sa place au sein de l'espace Indo-Pacifique et à développer en profondeur ses partenariats. La rupture du « contrat du siècle » en 2021, ne doit pas signifier la fin des efforts français à mettre en œuvre sa stratégie en Indo-Pacifique. Il revient dans ce sens à s'interroger sur la réelle capacité de Paris à faire coïncider son poids économique avec celui de ses alliés européens qui ne semble pas l’attendre, et la présence territoriale française, dernière puissance européenne à disposer de territoires ultramarins dans la région.
Pour ce faire, il convient d’engager pleinement toutes nos capacités de coopération auprès de partenaires partageant les mêmes idées, au même titre que les États-Unis. Il convient également de participer au renforcement des alliances militaro-sécuritaires de la région, mais aussi aux efforts économiques, diplomatiques, climatiques auprès des nations du Pacifique, de l'Asie du Sud-est et du Sud. Il est enfin nécessaire de reconnaître la difficulté de façonner un équilibre stratégique et l'architecture sécuritaire de l'espace Indo-Pacifique sans proposer une stratégie réfléchie et adaptée aux budgets alloués aux forces armées.
Cet engagement a pu s’essayer le lundi 30 janvier 2023, lors des deuxièmes consultations ministérielles France-Australie en matière d’affaires étrangères et de défense. À la suite de cette rencontre, nous pouvons retenir la décision commune de rétablir une relation bilatérale forte, une compréhension mutuelle des enjeux sécuritaire et de défense et la nécessiter de coopérer face au bouleversement de l’ordre internationale et les actions qui se doivent d’être prise, notamment pour la fabrication de plusieurs milliers d’obus de 155 mm pour l’Ukraine. En ce sens, la livraison des premières munitions qui représente un contrat de plusieurs millions de dollars australiens a été annoncée pour la fin du premier trimestre de cette année. Si les australiens s’occuperont de fournir la poudre, l’industriel français Nexter se chargera d’assembler tous les éléments de l’obus.
Cependant, l’actuel ministre de la Défense australien a tenu à rappeler que Canberra ne prévoyait pas de disposer de flottes sous-marines provisoires à propulsion conventionnelle en attendant la livraison des sous-marins nucléaires américains. Marles a aussi rappelé qu’il n’y avait aucune place pour la France dans AUKUS qui « n’est pas une alliance mais une coopération avec le Royaume-Uni et les Etats-Unis pour bâtir des sous-marins nucléaires ». Malgré tout, selon le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, les accords de coopération conclus entre la France et l’Australie est une opportunité de renforcer la coopération industrielle de défense et ainsi développer de nouveaux systèmes d’armes, notamment dans le domaine spatial militaire (applicable également au civil) ou dans le développement de drones pour la sûreté maritime.
En conclusion, le renouvellement du partenariat entre les deux pays peut être considérer comme une légère avancé dans le rétablissement des relations sécuritaires et de défense entre la France et l’Australie. La France, disposant de plusieurs territoires d’outre-mer dans le Pacifique et l’océan Indien et de 7000 soldats projetés, doit considérer cet accord comme une possibilité d'étendre son influence, ses capacités, sa légitimité dans l'espace Indo-Pacifique.
Sources Images : DoD Australia